En Afrique… les hommes politiques sont victimes de diffamation électronique et de fausses photos
Quelques semaines après avoir été nommée au conseil du district de Kwale, dans le sud-est du Kenya, Judy Kingo s’est retrouvée dans l’œil du cyclone. Selon « AFP », une image modifiée a été diffusée sur les réseaux sociaux sur laquelle on le voit embrasser une autre femme.
Kingo, 35 ans, affirme que cette image trompeuse visait à l’évincer de son poste dans ce comté conservateur de la côte sud du Kenya.
Après que la photo ait circulé en ligne, un utilisateur a déclaré que Kingo se rappelait : « Regardez, c’est votre chef. » Quel modèle donnez-vous à nos filles ?
L’affaire Kingo n’est pas un incident isolé. Les experts affirment qu’il est de plus en plus évident que les femmes à travers l’Afrique sont soumises à des campagnes de désinformation en ligne visant à les discréditer, à minimiser leurs ambitions et à les tenir à l’écart de la politique.
Kingo estime que les femmes occupant des fonctions publiques devraient ignorer la pression des cyberattaques et ne pas se laisser influencer par celles-ci. Kingo a refusé de se soumettre et, depuis le début des campagnes contre elle, les blogueurs ont été chargés de répondre aux campagnes de diffamation lancées contre elle sur les réseaux sociaux.
Elle a déclaré à l’Agence France-Presse : « Le domaine politique a toujours été dominé par les hommes et pour qu’une femme entre dans ce domaine, il faut être très agressive », mais trouver un équilibre est difficile.
Elle explique : « Si vous abordez les problèmes de manière agressive, les gens diront que vous agissez trop ou que vous êtes bavard. « Ce n’est pas le cas de nos collègues masculins. »
«Attaques injurieuses à caractère scandaleux»
Ces attaques, qui ont tendance à se multiplier pendant la période électorale, sont stratégiquement planifiées pour faire taire les femmes, explique Christina Welfour, co-fondatrice de #ShePresented, une organisation mondiale à but non lucratif qui lutte contre la désinformation sur le genre et les abus en ligne.
« Les attaques à caractère sexuel sont très offensantes et visent certainement à saper l’idée selon laquelle les femmes sont qualifiées », a déclaré Wilfour à l’Agence France-Presse.
Elle souligne qu’une étude à laquelle l’organisation qu’il dirigeait a participé lors des élections nationales de 2022 au Kenya a conclu que les médias sociaux « permettaient à la rhétorique misogyne de prospérer ». Malgré l’examen et la correction des informations, « il subsiste le sentiment que les femmes n’ont pas leur place dans certains espaces publics », a déclaré Welfour.
Les femmes parlementaires du Kenya en ressentent également les effets. La députée d’opposition Milly Odhiambo a déclaré à l’Agence France-Presse : « De nombreuses femmes ont peur d’entrer dans les espaces publics, notamment politiques, en raison des problèmes qui entourent ces espaces ».
Le Kenya a depuis longtemps dépassé les quotas parlementaires, qui exigent que les femmes détiennent au moins un tiers des sièges à l’Assemblée nationale.
Selon une étude du groupe « Les femmes dans la participation politique » de 2021, les femmes n’occupent que 24 pour cent des quelque 12 100 postes parlementaires sur le continent africain.
« L’humiliation des femmes »
Lors de la campagne électorale de 2017 au Rwanda, des photos d’une femme nue appartenant prétendument à la femme d’affaires et militante Diane Rwigara ont circulé sur Internet quelques jours seulement après qu’elle ait annoncé sa candidature à l’élection présidentielle. Rwigara était la seule femme à s’être présentée contre le président rwandais Paul Kagame.
Elle a ensuite déclaré à CNN que les photos avaient été retouchées pour détruire ses chances électorales.
Sa candidature lui a ensuite été refusée au motif qu’elle avait falsifié les signatures de ses partisans pour présenter sa candidature. Mais en 2018, un tribunal l’a acquittée car les allégations portées contre elle n’avaient « aucun fondement ».
En avril de cette année, l’ancienne sénatrice kenyane Millicent Omanga a reçu des appels à la démission de son poste de ministre d’État après avoir prétendument accusé des clips vidéo scandaleux de son partage sur les réseaux sociaux.
Une enquête menée par l’AFP a révélé qu’au moins un de ces clips mettait en vedette une actrice porno amateur.
Cependant, de nombreux internautes ont été convaincus que c’était Umanga qui n’avait pas commenté publiquement la question et qui n’avait pas non plus répondu aux appels de l’agence de presse française à ce sujet.
Pour la politologue kenyane Nerima Wako-Ojiwa, ce phénomène fait partie de ceux qui visent à « dégrader les femmes ». Et elle ajoute : « Pour cette raison, les femmes (leaders politiques) évitent complètement, ou évitent de laisser une empreinte numérique ou de communiquer via Internet ».
Les dangers de l’intelligence artificielle
Les experts craignent que la diffusion croissante des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle ne vienne encore aggraver la situation des femmes.
Selon une étude réalisée en 2019 par la société néerlandaise d’intelligence artificielle Sensity, environ 96 % des vidéos deepfake contiennent du porno non consensuel, et la plupart d’entre elles mettent en scène des femmes.
La même année, DeepNude, une application qui montrait la nudité virtuelle des femmes, a été fermée après un tollé suscité par d’éventuels abus. Toutefois, l’accès à d’autres outils similaires restait possible via des messages cryptés.
Avec le développement rapide des technologies d’intelligence artificielle, les experts affirment que les entreprises de réseaux sociaux doivent redoubler d’efforts pour créer des espaces numériques sécurisés.
La situation en Afrique est particulièrement désastreuse ; Les plateformes profitent de la faiblesse des lois et de leur mauvaise application, explique Leah Kimathi, fondatrice du Kenya Council for Responsible Social Media.
« Les plateformes ont la responsabilité première de garantir que les espaces numériques ne soient pas utilisés par des criminels pour causer du tort », a-t-elle ajouté à l’Agence France-Presse. « Ses modèles économiques, basés sur des algorithmes, amplifient la désinformation sur Internet, qui la diffuse largement avec profit », explique-t-elle.
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